Me revoilà.
Sur un sentier escarpé aux abords d’une forêt luxuriante où le givre commence à se muer en gouttelettes gelées sur les feuilles, je marche.
Mon seul compagnon est un sac enroulé à mon épaule droite, empli de souvenirs.
Je m’efforce d’avancer même si mes épaules me semblent lourdes.
Elles ont du mal à porter mes souvenirs.
Les muscles tendus de mes cuisses, les articulations rouillées de mes chevilles, les semelles usées de mes chaussures… Mes jambes toutes entières me rappellent à chaque pas que cela fait des heures que je suis le même sentier.
Elles ont peur de l’avenir où elles pourraient me porter.
Épuisé, je suis enfin arrivé à destination.
Auberge centrale de Mérulik.
J’emporte la clé sans souffler un mot au tenant. J’emprunte le dernier escalier à droite, celui qui grince un peu. Je suis sûr qu’elle va entendre.
Me voici devant la porte. Chambre 36.
Pas un bruit. Une angoisse me surprend et ma main apposée sur la poignée se met à trembler. Je l’attrape pour arrêter ses tremblements, pour susurrer à mon âme de ne pas céder au doute, pour insuffler du courage à mon cœur.
J’ouvre.
Vide.
J’aurais dû m’en douter. J’aurais dû m’y attendre. J’aurais dû… faire quelque chose pour que cela n’arrive pas. Désormais, la seule chose qu’il me reste d’elle est la bague qu’elle m’avait offerte… et le souvenir de son visage d’ivoire.
J’aurais dû comprendre lorsque je l’avais entraperçu avec ce paladin.
Bien. Je dois accepter la vérité, et rejoindre mes amis. Ils ont besoin de moi.
Notre lieu de rendez-vous, le seul où nous sommes certains de tous nous retrouver. Je crois que l’on peut appeler ça un foyer. Même si nous sommes des nomades, il existe un endroit accueillant et chaleureux où l’on peut rejoindre ses compagnons. J’aime à y croire. Je veux y croire.
Je marche à grandes enjambées. Mes yeux suivent de près la douce plume qui virevolte dans les airs, qui m’indique le chemin à suivre. Je l’ai ensorcelée moi-même, je n’en aurais même pas besoin mais qu’importe. Même si le chemin n’est jamais le même, il mène toujours à cette unique destination et c’est tout ce qui compte.
Vide.
Encore plus de lierres grimpants ont recouvert le vieux portail rouillé à l’entrée de notre repaire.
Tout est à l’abandon. Les quelques tentes et autres installations de fortunes semblent déjà appartenir à un lointain passé.
Soudain, une ombre. Azunyan est encore là. Même si ses yeux sont bandés, je sais que le clair de ses iris m’auraient été plus révélateur que toute parole. Je le remercie d’être venu me voir pour me prévenir. Et je pars.
Je ne sais pas où aller. Je ne sais plus. J’ai perdu les personnes qui m’étaient chères. Encore. Est-ce là ce que doit être l’allégorie perpétuelle de la vie ? Voir disparaître l’un après l’autre ceux auxquels on s’attache pour voir nos liens rompus par-delà la mort, l’oubli ou simplement la fin d’une relation.
Je m’efforce de vivre en étant optimiste, si je veux détenir ne serait-ce qu’une parcelle du pouvoir de changer le monde qui m’entoure, mais encore une fois mes convictions sont rudement mises à l’épreuve. Je sais que je suis parti pendant longtemps, loin de tous, sans fournir de réelle explication.
Je sais que je suis parti tout simplement.
Mais ne pouvaient-ils pas attendre mon retour ? Est-ce égoïste de demander à son ami d’attendre son retour ? Est-ce égoïste de demander à celle qu’on aime d’attendre son retour, de ne pas partir se réchauffer dans les bras d’un autre ?
Qu’ai-je représenté pour vous pour que vous me laissiez seul de la sorte ? N’ai-je été qu’une personne avec qui on aura passé un peu de temps pour en tirer sa substantifique moelle et la délaisser ensuite ? Ne suis-je déjà plus qu’une ombre fugace déjà estompée au creux de vos cœurs et de vos esprits ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Et j’ai peur de la réponse.
J’ai peur.
Vide.
Mon cœur, mon âme, mon esprit.
J’erre sur les doux sentiers de mon patrie tel un cavalier sans tête.
Mon cœur bat, mes poumons inspirent et expirent mais je ne suis déjà plus.
La Faucheuse s’est déjà emparée de mon cœur avant mon enveloppe mortelle.
Je n’ai pas peur de mourir car je suis déjà mort.
Perdu dans le souffle éternel de la solitude.
J’erre sur les doux sentiers de ma patrie tel un vent nomade.