Je ne me rappelle plus de rien avant ce moment. Le bruit des vagues, le roulis léger, ce mal au ventre, la dureté du sol sous mon dos.
J'ouvre les yeux, la lumière me fait mal. Je me lève tant bien que mal et passe la main dans mes cheveux. Un tique sans doute. Rien.
Je m'appuie sur la rambarde et regarde autour de moi. La mer à perte de vue, les vagues, pas un seul lambeau de terre à l'horizon.
Qui suis-je? D'où est-ce que je viens? C'est comme si on avait vidé mon cerveau de tout ce qu'il contenait, pas un seul souvenir, pas une seule image...
Beurp!!! Le liquide amer qui remonte le long de ma gorge finit sa course dans l'étendue bleu profonde qui dort tranquillement sous mes pieds.
Les marins s'affairent, personne ne semble remarquer ma présence, comme si j'étais invisible, où comme si j'avais toujours été là. Le gabier monte dans les haubans, les mousses astiquent le pont...
- Fillette, viens par ici.Je me retourne. Un homme de haute taille se tient, imposant, devant moi. Les mains sur les hanches, il me regarde avec douceur. Soudain, il m'attrape par le bras et pose mes mains sur le gouvernail. Je tremble de peur, tout le bateau dépend de moi.
Une douce torpeur m'envahit, le bateau semble glisser sur l'eau. Comme si j'avais fait cela toute ma vie. La coque ne touche plus l'eau. Je sombre dans les limbes douloureuses du sommeil, lentement recueillie par les bras de Morphée.
Réveil en sursaut. On crie, on piaille, on s'active. Les hommes portent des caisses à bout de bras et les déchargent sur le quai. Encore une fois, personne ne semble me voir. Je titube légèrement puis commence à marcher d'un pas plus assuré. Je descends du bateau et me précipite sur un baril rempli d'eau. Je trempe mes mains dedans puis essuie mon visage et me regarde dedans comme dans un miroir.
Ma peau couleur d'ébène est mangé par deux yeux d'un bleu profond. De petites boucles se forment sur mes cheveux coupés courts. Mais sur ma joue droite, une balafre s'étend de la comissure de mes lèvres à ma tempe. Les chairs tuméfiés ont cicatrisés et il ne reste plus qu'un trait rosé qui me barre le visage. Mes yeux s'affolent et tournent.
J'ai peur, une menace est là sougeancante dans ma mémoire mais je ne sais pas. Les images ne viennent pas. On dirait qu'on les a enfermés. Ils veulent sortir mais ne peuvent pas. Ma tête va éclater.
Et puis plus rien...